Recette de mon grand-père pour garder le cap en temps de crise

 

Le jour où il nous a fallu un laisser-passer pour sortir faire les courses, mon mari a rêvé qu’il se faisait arrêter par la Gestapo. Nous ne sommes pourtant envahis par aucune puissance étrangère dans la ville où nous habitons. Alors pourquoi ?

 

Crise sanitaire et guerre

La crise sanitaire que nous vivons actuellement avec le Covid-19 est un drame inédit. Et nous avons besoin pour survivre à ce traumatisme de penser ce qui nous arrive. Mais comment penser quelque chose de si nouveau ? Nous n’avons pas le recul pour le faire, les concepts n’existent pas encore ! Ou alors ils ont existé – d’autres pandémies ont frappé le monde avant celle-ci – mais nous nous en sentons trop éloignés pour nous les approprier. Alors nous nous raccrochons à des images que nous connaissons mieux. Pour beaucoup d’entre nous, Européens du XXIe siècle, c’est la guerre, et plus particulièrement la seconde guerre mondiale. C’est peut-être inadapté, mais comme ça. On ne lutte pas contre les réflexes de la pensée.

 

Plutôt que nous laisser ronger par l’angoisse que cette assimilation à la guerre peut faire naître en nous, pourquoi ne pas emprunter à nos grands-parents, eux qui l’ont vécue, la guerre, quelques idées pour traverser cette situation le moins mal possible ?

 

Il se trouve qu’au moment où la crise sanitaire a commencé, j’étais en train de lire les « cahiers de bord » de mon grand-père, écrits chaque jour lors de sa formation militaire à l’école de Saint-Cyr (alors délocalisée à Aix-en-Provence) durant l’année scolaire 1941/1942, en pleine guerre mondiale, dans une France vaincue et coupée en deux.

Malgré des contextes très différents, je vois de nombreux points communs entre sa situation et la nôtre : l’incertitude sur l’avenir, les difficultés de circulation (entre la zone libre où il étudie et la zone occupée où réside sa famille), l’idée que le pire est à venir, le quotidien ponctué de mauvaises nouvelles, le sentiment d’impuissance…

J’ai identifié quatre ingrédients, qui ont été au cœur de sa vie lors de cette période difficile et qui, je crois, peuvent nous être utiles aujourd’hui. Cette « recette » élaborée à Saint-Cyr, mon grand-père a continué de la cuisiner comme il le pouvait pendant la suite de la guerre, aux chantiers de jeunesse d’abord, puis dans la résistance : ses écrits ultérieurs en attestent. Pendant ces années décisives il a connu des hauts et des bas, des périodes de doute intense, de découragement, même. Il a vécu au jour le jour, il a fait des choix sans savoir s’ils seraient les bons. Mais il a gardé le cap et finalement, il a terminé la guerre en héros.

Les ingrédients de sa recette n’ont rien de révolutionnaire, et nous avons été nombreux à les mettre en place spontanément dans nos vies dès les premiers jours du confinement. Mais peut-être n’en avons-nous pas saisi l’importance vitale, sur la durée.

Ma conviction est qu’ils peuvent nous aider nous aussi à garder le cap, un jour à la fois, autant de temps qu’il le faudra.

 

rire

Le premier ingrédient, c’est le rire. L’humour potache était omniprésent dans la vie de jeune soldat de mon grand-père. Entre les « salades de godasses », les batailles de polochon et autres pitreries (dont mon grand-père était spécialiste !), on a parfois l’impression d’observer, non pas la formation d’élèves officiers, mais des enfants de six ans en colonie de vacances. Avant le confinement, cela me semblait aberrant : vu le contexte, comment les élèves de Saint-Cyr pouvaient-ils se conduire d’une manière aussi insouciante et puérile ? Aujourd’hui je comprends. Et à voir le nombre de vidéos drôles et créatives qui circulent en ce moment, je crois que nous sommes nombreux à comprendre à quel point le rire nous fait du bien. Nos corps crispés par l’angoisse trouvent dans le rire une pause salutaire, une détente des muscles et de l’esprit, une respiration. Oui, une respiration : les poumons se détendent et respirent enfin pleinement. Ils en ont tant besoin ! Et c’est particulièrement vrai – et particulièrement facile aussi – si nous avons des enfants. Ils inventent tant de jeux, ils rient de choses tellement minuscules, faisons comme eux, laissons-nous entraîner !! Jouons à cache-cache, faisons des batailles de polochon et rions comme des enfants ! Ne culpabilisons pas de passer du temps à regarder des vidéos qui nous font rire. C’est important. Non. C’est nécessaire !

 

SAVOURER

Le deuxième ingrédient glané au fil de ma lecture, c’est l’importance de savourer tout ce qui mérite de l’être. Dans ses cahiers, mon grand-père ne manque jamais de mentionner les petits plaisirs qu’il s’offrait pour adoucir son quotidien bien rude d’apprenti soldat. Les colis de la famille, avec leurs confitures et leurs pâtes de fruits, étaient attendus comme le Graal. Aucun dimanche ne passait sans son lot de pâtisseries, macarons et autres calissons… Le moindre moment gastronomique était mentionné avec soin dans les carnets, tout comme l’émerveillement devant un paysage ou le plaisir d’un hymne bien chanté. Mon grand-père était très sensible à tout cela, et l’on sent dans ses écrits toute sa gratitude pour ces petits plaisirs qui, littéralement, contribuaient à maintenir son goût de la vie.

Bien sûr, l’idée n’est pas de nous gaver de sucreries. Encore moins de nous abrutir de divertissements pour noyer notre ennui ou notre cafard. Mais je crois que nous gagnons à nous offrir, plus que d’habitude et en conscience, des choses à savourer : un bon repas, une belle musique, la caresse du soleil sur notre joue, l’odeur du jasmin qui fleurit ou bien un joli coucher de soleil. Tout cela restaure la vie en nous. Savourons, et soyons conscients de la chance que nous avons de vivre chacune de ces petites choses, même si tout le reste est moche. Focalisons notre attention sur ce qui est beau et doux, sur ce qui nous fait du bien. Comme mon grand-père, qu’une tartine grillée garnie de confiture mettait en joie pour la journée.

 

S’inspirer

Le troisième ingrédient, c’est la recherche de sources d’inspirations. Élève d’une armée vaincue, sans aucune visibilité sur son avenir, mon jeune grand-père avait pourtant besoin d’un horizon vers lequel se projeter de manière positive. Ses sources d’inspiration à lui, c’étaient la foi en Dieu et les livres. Il pratiquait avec ardeur la religion chrétienne et passait son temps libre à dévorer les récits de personnages qu’il admirait. À plusieurs reprises dans ses cahiers, on sent que telle ou telle phrase entendue dans un sermon ou lue dans un essai lui donne l’élan et l’inspiration dont il manquait à ce moment-là. À l’inverse, les platitudes et tout ce qui le tire vers le bas est rapidement balayé. Pas de temps à perdre pour cela.

Je crois qu’il avait raison. Comme lui cherchons ce qui nous inspire, ce qui nous donne de l’énergie, et consommons à doses homéopathiques tout ce qui nous entraîne vers « le côté obscur de la Force » : les médias porteurs de nouvelles accablantes, les échanges avec des gens qui nous plombent le moral, ou bien l’aiguille de la balance qui nous déprime. Trouvons nos étoiles, celles qui nous tirent vers le haut, et suivons-les !

 

Être en lien

Enfin le quatrième ingrédient, c’est l’importance de cultiver le lien à l’autre. Il est frappant de lire le nombre de lettres que mon grand-père échangeait avec sa famille, mais aussi avec des amis plus ou moins proches, et même avec des personnes plus éloignées, anciens camarades de classe ou amis de ses parents. Il recevait et envoyait des dizaines de lettres par semaine malgré un quotidien très chargé. À l’évidence, ces échanges de courrier étaient l’une de ses priorités. Cela lui permettait quelque chose d’essentiel : se sentir en lien. Plusieurs fois dans son récit, alors qu’il se sent seul, perdu ou écrasé par le poids de l’actualité, c’est une lettre qui lui remonte le moral. Et de son côté, il met un point d’honneur à toujours donner de ses nouvelles. Grâce à cet effort constant, il savait pouvoir compter sur de nombreuses personnes qui, à l’inverse, pouvaient compter sur lui. Quel trésor en plein marasme guerrier !

Dès le début du confinement, nous avons senti, nous aussi, le besoin de rester en lien. Nous nous sommes mis à organiser des apéritifs virtuels avec la famille ou les amis, nous avons appelé les grand-mères plus souvent, repris contact avec des amis perdus de vue, nos enfants ont squatté nos téléphones pour des téléconférences interminables avec leurs amis. Mais à la longue, cet élan peut commencer à s’essouffler. Tout cela nous demande plus d’efforts que nos relations habituelles servies sur un plateau, et l’énergie peut commencer à manquer. Pourtant il nous faut continuer. Prendre soin les uns des autres. Penser surtout aux plus isolés, aux plus fragiles. Soigner chacun des liens qui nous importe comme un oisillon tombé du nid. En ces temps incertains, ils sont ce que nous avons de plus précieux. Ce sur quoi chacun d’entre nous a besoin de pouvoir compter, maintenant, mais aussi plus tard, quand il nous faudra reconstruire. Ils sont surtout essentiels à notre sentiment d’humanité.

 

Et maintenant ?

Aujourd’hui, dans cette épreuve que nous traversons, je comprends mieux ce tout jeune homme qu’était mon grand-père pendant la guerre. Trois ans auparavant, il ne se doutait certainement pas qu’il passerait les premières années de sa vie d’adulte en plein conflit mondial, qu’il serait livré à lui-même après une seule année de formation dans une armée d’armistice mort-née, que beaucoup de ses amis tomberaient au champ d’honneur.

Il n’y était pas préparé.

 

De notre côté nous étions loin d’imaginer, il y a quelques mois seulement, qu’une pandémie mondiale bouleverserait à ce point nos vies, que nous serions confinés, que les hôpitaux seraient surchargés, que beaucoup devraient fermer leur commerce, que l’économie entière serait bouleversée, qu’il nous faudrait un laisser-passer pour sortir dans la rue, que nous ou nos proches serions touchés par la maladie…

Nous n’y étions pas préparés, nous non plus.

 

Alors dans cette période d’incertitude totale, quand nous nous sentons abattus, dépassés, en manque de repères, rappelons-nous la recette de mon grand-père, et trouvons l’ingrédient qui pourrait bien changer la couleur de notre journée : rions comme des enfants, offrons-nous des choses à savourer, suivons avec ardeur ce qui nous inspire et surtout, surtout, restons en lien les uns avec les autres.

Ensemble, nous traverserons cette crise,

du mieux que nous le pouvons, un jour à la fois.

Et quand le moment sera venu, ensemble, nous construirons un monde plus beau.

 

4 réactions sur “ Recette de mon grand-père pour garder le cap en temps de crise ”

  1. Chantal CHRISTODOULOU Réponse

    Je retrouve ici les mémoires de mon papa engagé le jour de ses 20 ans, il ne pouvait pas avant,devant obéir et aider ses parents, 3 avril 45, l’Allemagne, l’Indochine.

    • B.F.Parry Auteur ArticleRéponse

      Très heureuse que ce texte fasse remonter ces souvenirs, Chantal. Merci de les partager ici avec nous !

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